Dans le livre qu’il vient de publier, comment se fait – ou ne se fait pas –
« l’insertion des jeunes de banlieue d’origine maghrébine » dans notre pays. Ce livre, édité chez L’Harmattan dans la collection « Logiques sociales », est riche d’enseignements. Jacques Chavanes restitue avec probité ce qu’il a vu et entendu - ce qui le conduit à se démarquer des clichés, des stéréotypes et du « prêt à penser ».
Ainsi en va-t-il de ce constat, s’agissant des freins à
« l’insertion professionnelle des jeunes d’origine maghrébine » :
« Leur forte orientation vers les filières administratives tertiaires de l’enseignement secondaire (…) les pénalise d’autant plus que les débouchés dans cette voie se situent plutôt à partir du niveau bac+2 ; et les jeunes orientés vers les spécialisations industrielles pâtissent fortement du retournement de la conjoncture économique depuis 2002. La très faible part d’apprentis parmi eux (…) les empêche de profiter d’une voie porteuse : 1,3% des jeunes d’origine maghrébine issus d’une famille d’ouvriers ou d’employés sont en apprentissage au lieu de 12% des jeunes d’origine française issus du même milieu social » (p.56).
En conséquence,
« les jeunes d’origine maghrébine pâtissent, dans ce contexte, d’un décalage prononcé entre la valeur des emplois qu’ils occupent et les formations qu’ils ont suivies. Ils travaillent peu dans les fonctions de l’administration, même parmi les diplômés, alors que beaucoup d’entre eux sont formés aux professions du secteur tertiaire (…) ; et, à l’inverse, « ils s’orientent davantage vers les métiers de l’action sociale, en dépit d’une formation initiale qui ne les prédestine pas à cette orientation professionnelle", selon Frédéric Lainé et Mahrez Okba » (p.57).
Ces longues citations témoignent de la « fidélité au réel » qui caractérise le travail de Jacques Chavanes, travail étayé par les monographies qui jalonnent son ouvrage et qui sont particulièrement éclairantes.
Sa conclusion est forte :
« Cela invite à s’interroger sur les limites d’une société qui, non seulement, ne « porte » plus les individus, ne les intègre plus, mais tend à rendre chacun responsable de son sort. Peut-on réellement considérer que les jeunes appelés à rester en marge de l’emploi, au bas de l’échelle sociale ne le doivent qu’à eux-même ? » (p. 187).
En écho, François Dubet écrit dans le préface de l’ouvrage :
« Les jeunes issus de l’immigration – combien faut-il de génération pour ne plus êtres "issus" ? – sont enfermés dans des clichés bien connus et abondamment répandus (…) En réalité, ces jeunes-là n’existent pas vraiment : ils ne sont que le reflet de nos fantasmes et de nos peurs» (p. 9 et 13).
La Cité au travail décrit les pièges dans lesquels notre société enferme ces jeunes.
Il faut remercier Jacques Chavanes d’avoir écrit ce livre utile sur un enjeu fort pour l’avenir de nos sociétés. C’est un livre qui invite à se défaire des idées toutes faites et qui appelle à l’action – une action pour que l’égalité des chances devienne, au-delà des mots, une réalité et pour que nous apprenions à mieux vivre ensemble.
Jean-Pierre Sueur
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