Il serait bien présomptueux, après neuf jours passés en Chine, de prétendre formuler des observations définitives sur ce grand pays. J’aurai l’occasion de revenir ultérieurement sur les questions urbaines sur lesquelles je dois publier un rapport en 2011. On lira donc ci-dessous de simples notes – informations et impressions glanées au fil des jours.
Identité. A voir les foules immenses se presser, par petits groupes derrière un guide tenant un fanion, au sein du Palais d’Eté, de la Cité interdite, sur la Grande Muraille ou sur les chemins de la Montagne Jaune, on voit combien le régime chinois d’aujourd’hui mobilise toute l’histoire pour forger, façonner, magnifier l’identité nationale.
Roms. Arrivant à Pékin, je tombe sur un article du China Daily – le principal journal de langue anglaise publié en Chine – intitulé « La France poursuit sa reconduite des Roms vers l’Europe orientale » exposant en détail la politique menée en France, photo à l’appui. Je n’ignore pas ce qui se passe en Chine en matière de Droits de l’Homme. Le rapport d’Amnesty International vient de paraître. Il n’empêche que j’ai là l’illustration que la politique du gouvernement français à l’égard des Roms est largement médiatisée, exploitée et commentée dans le monde.
Place Tien An Men. La place Tien An Men est immense. Impossible de la voir sans penser à tous les dissidents qui y périrent.
Peine de mort. M. Wu Bangguo, président de l’Assemblée populaire nationale nous reçoit. Il est affable, très attaché aux liens avec la France. Ses mots sont pesés. Il insiste que le fait que « treize crimes non violents ne donneront plus lieu à la peine de mort en Chine ». Il ne dit visiblement pas cela par hasard. Ces crimes doivent être liés à l’économie, à la corruption. Un grand connaisseur de la Chine nous explique qu’il y aurait aujourd’hui 2 500 condamnations à mort par an en Chine et qu’il y en avait un nombre beaucoup plus élevé dans les années 1980.
Opéra. Magie de l’opéra construit par Paul Andreu, qui semble posé sur un vaste plan d’eau. Forme ronde, très harmonieuse, - comme à Shangaï, la nouvelle salle de spectacle ovoïde qui compte 18 000 places.
Moma. Le « Moma », dû à l’architecte Steven Holl, disciple de Le Corbusier, est un nouveau quartier moderniste de Pékin obéissant à tous les critères de la nouvelle architecture écologique. Les bureaux et les logements y sont très chers. Seuls des Chinois très riches, des étrangers fortunés et des responsables d’entreprises opulentes pourront y accéder. La Chine est l’un des pays du monde où les inégalités sont les plus fortes.
Entrepreneurs. Les nouveaux entrepreneurs ont longtemps boudé le Parti communiste, ses appareils, ses notables et ses fonctionnaires. Les choses ont changé. Le parti recrute et promeut les entrepreneurs parmi ses cadres et ses dirigeants.
Lanternes. Loin des quartiers propres et policés, l’avenue des lanternes à Pékin, est un autre monde. Sous les milliers de lanternes rouges, des mendiants nous interpellent au milieu de la foule qui, le soir, se presse sur ce boulevard bordé de restaurants.
Retraites. La politique de l’enfant unique promue pour maîtriser la démographie connaît des limites. Elle est moins acceptée à la campagne qu’en ville. Des interrogations existent sur ses effets à long terme. Et surtout, cette politique met à l’ordre du jour la question des retraites et de la sécurité sociale. Longtemps, les enfants furent, par leur seule existence, le « droit à la retraite » des parents. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Le débat sur les retraites est à l’ordre du jour.
Réserves. La Chine dispose de 2 400 milliards de dollars de réserve monétaire. Elle est devenue le banquier du monde.
Mouvements. Un bon connaisseur de la Chine nous explique qu’il y a de nombreux mouvements sociaux. Il y en a des milliers. Pour les salaires dans les entreprises (notamment les entreprises étrangères). Contre les expropriations dans les villes. Dans les campagnes aussi. La politique du pouvoir face à ces mouvements est un mélange de fermeté et de souplesse. L’objectif est de traiter les difficultés sur le terrain et d’éviter tout effet « tâche d’huile » ou « coagulation ».
Péages. Il y a en Chine des octrois et des péages urbains. Mais il ne s’agit pas de péages autoroutiers. Il s’agit du droit à venir vivre, habiter, travailler dans la ville. Ce qui induit forcément l’existence de nombreux « sans-papiers de l’intérieur ». Sur les quinze millions d’habitants de Pékin, les « sans-papiers de l’intérieur » sont évalués à quatre millions.
Périphériques. La ville de Pékin s’est développée de manière concentrique. Chaque étape a correspondu à la création d’un nouveau périphérique de forme rectangulaire. Il y en a cinq. Les habitants désignent leur secteur d’habitation par le numéro de la zone qui sépare un périphérique d’un autre. Jusqu’où cela peut-il – et doit-il – aller ? C’est la question principale de l’urbanisme et des villes du futur.
Huitième étage. Il arrive que deux autoroutes se superposent à Shangaï. La structure la plus haute atteint le huitième étage des immeubles. Question : si le développement de Shangaï, qui compte seize millions d’habitants, est semblable à ce qu’il a été durant ces vingt dernières années, l’infrastructure la plus élevée atteindra-t-elle le seizième étage des immeubles ? Réponse de M. Hu Wei, vice-président du Congrès du peuple de Shangaï : « Je n’imagine pas être demain le responsable d’une ville de 30 ou 40 millions d’habitants. Notre projet c’est, dans le cadre du prochain plan, de développer les villes moyennes et petites ainsi que les villes de banlieue ».
Le projet en étoile. Autre réponse que détaille M. Wu Jiang, vice-président de l’Université Tongji, spécialiste de l’urbanisme : le projet d’ensembles urbains plus éclatés et dispersés. Ce projet consiste à créer neuf « nouvelles cités » autour de Shangaï, soixante « nouvelles villes » autour de ces nouvelles cités et 600 « villages centraux » autour de ces « nouvelles villes ».
Autrement dit, c’est un projet en étoile, en constellation, qui s’appuie sur des réseaux de villes moyennes et petites, pour conjurer l’extension indéfinie des banlieues proliférantes constituées d’alignements d’immeubles. Joignant le geste à la parole, M. Wu Jiang dessine le projet. Ce projet, on en trouve la présentation précise au musée de l’urbanisation de Shangaï.
Exposition universelle. Le pavillon chinois, une pyramide renversée, est une prouesse architecturale. Les spectacles qu’on y découvre sont des exploits technologiques : ce sont d’immenses images totalement animées qui évoquent l’histoire et la civilisation e la Chine et de ses régions.
Le pavillon français apparaît – par opposition à bien d’autres – très daté. On y voit Paris, un peu Marseille. Des images d’autrefois, des films antérieurs à 1980. Ce pavillon suscite une vraie émotion auprès de visiteurs chinois, en particulier lorsqu’ils découvrent les tableaux prêtés par le musée d’Orsay : L’Angélus de Millet, ou des toiles de Van Gogh ou Cézanne. Mais je formule deux regrets. D’abord la France des régions et de la décentralisation est fort peu représentée. Ensuite, la France moderne, celle de la science, de la recherche, de la technologie, de la préparation du futur l’est encore moins !
Où est l’Europe ? A l’Exposition universelle de Shangaï, il n’y a aucun pavillon européen. Le stand de l’Europe est accueilli dans le pavillon belge ! C’est un lourd symbole ! Nulle part mieux qu’en Chine on mesure l’importance de construire une Europe forte, à l’heure où les ensembles continentaux dessineront le monde du futur. Or la vérité, c’est qu’à Shangaï, l’Europe est aux abonnés absents. Ou presque.
Ecole. Une photo symbolique, prise à Hongcun : Jean-Pierre Chevènement – qui faisait partie de la délégation – sur les bancs d’une ancienne école.
Merci. Merci à Jean Besson, président du groupe France-Chine du Sénat, qui m’a permis de faire ce déplacement ; à M. Chadenet, directeur du Sénat ; à M. Nam, président du groupe d’amitié Chine-France de l’Assemblée populaire nationale de Chine ; à tous les interlocuteurs chinois, ainsi qu’aux représentants de l’Ambassade de France à Pékin et du Consulat général de France à Shangaï pour la qualité de leur accueil et pour leur aide précieuse.Jean-Pierre Sueur
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